Featured in the media: Lire l’évolution des mammifères dans l’expression des gènes

 

 

(H.Kaessmann)

Pourquoi le cerveau de l’homme est-il plus complexe que celui des autres mammifères? Qu’est-ce qui nous différencie du chimpanzé? Comment nos organes se sont-ils modifiés au fil de l’évolution? Une étude internationale de grande envergure, menée par l’équipe du Prof. Henrik Kaessmann affiliée au Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL et au SIB Institut Suisse de Bioinformatique, apporte des éléments de réponse inédits sur les origines génétiques de l’évolution des mammifères. Les scientifiques sont parvenus, une première mondiale, à comparer l’activité des gènes de six organes différents présents chez neuf espèces de mammifères. Au vu de leur importance, les résultats sont publiés comme article principal dans l’édition du 20 octobre 2011 de la prestigieuse revue britannique Nature.

Du séquençage du génome humain à la génomique comparative
En 2001, l’annonce du séquençage du génome humain ouvre grand la voie à la génomique moderne. Dans son sillage, d’autres génomes de mammifères sont séquencés, notamment celui de la souris (2002), du chimpanzé (2005) et, plus récemment, de l’ornithorynque (2008), ainsi que plusieurs génomes d’oiseaux et de reptiles. Aujourd’hui, les génomes de 41 espèces de mammifères sont disponibles; ils constituent la pierre angulaire de la génomique comparative et évolutive.

Lactation, poils, cerveau relativement grand: les mammifères partagent plusieurs traits communs, mais ont également développé des spécificités propres à chaque espèce. Afin d’avoir une palette représentative des trois différents groupes de mammifères connus à ce jour, les scientifiques lausannois ont travaillé sur des échantillons issus de placentaires (souris; macaque rhésus; grands singes dont l’homme, le chimpanzé, le bonobo, le gorille et l’orang-outan), de marsupiaux(opossum) et de monotrèmes (ornithorynque). Les chercheurs se sont plus spécifiquement intéressés à six organes majeurs: cerveau (cortex cérébral), cervelet, coeur, reins, foie et testicules.

Une lecture directe de l’expression des gènes
L’expression des gènes, qui permet de savoir dans quel organe et avec quelle intensité un gène précis est utilisé, n’était, il y a peu, mesurable que grâce à des puces à ADN, une technologie rendant les comparaisons entre espèces éloignées difficiles. Pour ces raisons, seules quelques comparaisons évolutives, pour des espèces proches comme l’homme et le chimpanzé, ont jusqu’alors été réalisées.

Afin d’élargir son champ d’investigation, l’équipe romande a fait appel au «RNA-Seq», une méthode récente de séquençage à très haut débit qui permet une lecture directe de l’ARN messager. Ce dernier est une copie transitoire d’une portion de l’ADN correspondant à un ou plusieurs gènes et est utilisé par les cellules comme intermédiaire pour la synthèse de protéines. «En séquençant l’ARN messager, nous réalisons une lecture directe de l’expression des gènes. Nous avons ainsi pu déterminer quels gènes sont exprimés et, par conséquent, quelles protéines sont utilisées dans quels organes, détaille Henrik Kaessmann. Cette technique permettant par ailleurs d’obtenir des données tant quantitatives que qualitatives de l’expression des gènes, nous avons pu déterminer non seulement dans quels organes, mais aussi à quelle intensité certains gènes étaient actifs». Les chercheurs ont en outre pu prédire l’existence de nouveaux gènes dont la fonction reste pour l’heure inconnue.

Pour analyser les données extrêmement riches générées grâce au RNA-Seq, les scientifiques ont fait appel aux infrastructures informatiques de la plateforme Vital-IT du SIB ainsi qu’aux séquenceurs de la plateforme de technologies génomiques affiliée au CIG. A la clé, plusieurs résultats intéressants.

Notre cerveau est plus proche d’un cerveau d’ornithorynque que d’un foie humain
L’étude, qui a duré deux ans et demi, a, dans un premier temps, permis de confirmer qu’au niveau du répertoire de gènes utilisés, il y a plus de variabilité entre les différents organes d’une même espèce qu’entre le même organe de différentes espèces. Par exemple, lorsque l’on considère l’activité de gènes utilisés, un cerveau humain sera plus proche d’un cerveau d’ornithorynque que d’un autre organe humain comme le foie. «Ce résultat s’explique par le fait que la différenciation des organes remonte à des temps plus anciens que la séparation entre espèces», résume Henrik Kaessmann.

En se concentrant sur un organe donné à la fois, les biologistes ont en outre cherché à mesurer son degré d’évolution selon l’espèce. «Nous avons constaté que la relation phylogénique, soit le degré de parenté, était conservée pour tous les organes. En d’autres termes, le niveau d’expression des gènes comparé entre espèces pour chaque organe traduit parfaitement bien la place qu’occupe chacune des espèces dans l’arbre phylogénétique, ou arbre de l’évolution», poursuit le professeur.

Evolution rapide pour les testicules et lente pour le cerveau
Les scientifiques ont également voulu connaître la vitesse d’évolution de chaque organe, en mesurant le taux de changement de l’expression de leurs gènes au cours du temps. «Une donnée surprenante concerne le cerveau qui a connu une évolution étonnamment lente. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que cet organe renferme de nombreuses fonctions vitales qui ne laissent que peu de place au changement. A l’inverse, les testicules ont connu des changements très rapides en raison notamment des fortes pressions de sélection sexuelle exercées par la compétition entre mâles pour la reproduction», avance Henrik Kaessmann.

Comprendre l’évolution des caractéristiques propres à chaque mammifère
Finalement, en collaboration avec l’équipe du Prof. Sven Bergmann (Département de génétique médicale, UNIL, et SIB), les chercheurs lausannois ont réussi à identifier des changements d’activité des gènes qui ont très probablement contribué à l’évolution des caractéristiques spécifiques des six différents organes chez les différents mammifères, telles que la complexité du cerveau chez l’homme et les autres primates ou encore certains caractères particuliers des testicules chez l’ornithorynque.

La prochaine étape pour l’équipe du CIG consistera à poursuivre sur sa lancée en intégrant dans ses travaux de nouveaux mammifères, mais aussi des amphibiens (grenouille) et reptiles (lézard), ainsi que d’autres organes (par exemple les ovaires), tout en essayant de découvrir les modifications génétiques à la base de ces changements d’expression des gènes chez les différentes espèces. Et en gardant bien sûr en tête que «la finalité de toutes ces recherches est de comprendre les origines des caractéristiques uniques des différents mammifères, en particulier celles de l’homme», conclut Henrik Kaessmann.

 

Featured in the press :

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/7714914a-fa7f-11e0-a760-6683ab8c34dc/Lhomme_et_lornithorynque_si_prochessi_diff%C3%A9rents

http://www.tsr.ch/info/sciences-tech/3524558-lent-developpement-du-cerveau-des-mammiferes.html

http://www.tdg.ch/actu/suisse/testicules-evolue-vite-cerveau-2011-10-19

http://www.rp-online.de/wissen/umwelt/Hoden-entwickeln-sich-schneller-als-Gehirne_aid_1028066.html

http://www.focus.de/wissen/wissenschaft/wissenschaft-hoden-wachsen-schneller-als-gehirne_aid_676139.html

http://www.smh.com.au/environment/conservation/platypus-gives-new-insights-into-genetics-20111020-1m9rv.html

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.