A.Reymond in “Le Temps”

LES 15 ANS DU «TEMPS» Lundi18 mars 2013

L’ère de l’introspection génétique

Lucia Sillig

(Corbis/DR/Montage David Wagnières)

(Corbis/DR/Montage David Wagnières)

Le séquençage du premier génome humain a pris dix ans et coûté 3 millards de dollars. Bientôt, ce ne sera plus qu’une question d’heures et de centaines de dollars. Chacun aura le sien. Une révolution pour la médecine

Il y a 15 ans

Il y a quinze ans, le projet de séquençage du génome humain traînait. Mais en 1998, le biologiste Craig Venter monte la compagnie Celera et se lance dans la course. Eperonnée par la concurrence et la crainte que des intérêts privés ne s’approprient une partie de notre patrimoine génétique, la communauté scientifique donne un grand coup d’accélérateur. Il aura fallu dix ans de travail et 3 milliards de dollars, mais en 2000 le séquençage brut est achevé.

Pour la recherche, c’est une première révolution. «Beaucoup de gens ont dit que ça n’avait pas changé grand-chose, commente Emmanouil Dermitzakis, du Département de médecine génétique et développement de l’Université de Genève. Mais cela a complètement changé notre manière de faire de la science.» Au lieu de tâtonner, les chercheurs disposent désormais d’une carte pour savoir où regarder.

Cette avancée met aussi en évidence l’étendue de tout ce que l’on ne comprend pas encore. Les scientifiques pensaient trouver dans nos gènes, qui ne constituent que 1,5% de notre ADN, la plupart des réponses qu’ils cherchaient. Or, ils sont en train de réaliser que le reste du génome – parfois désigné par le terme peu flatteur d’ADN poubelle – joue aussi un rôle important.

On pensait en outre pouvoir expliquer l’origine de beaucoup de maladies en identifiant des mutations dans un gène – comme c’est le cas pour les maladies dites monogéniques, comme la mucoviscidose. «C’est clairement beaucoup plus compliqué que ça, note Emmanouil Dermitzakis. Pour les maladies cardiovasculaires ou le diabète, par exemple, il y a des centaines de mutations à des endroits différents qui ont un effet. Sans compter, l’interaction avec l’environnement…»

Le séquençage du génome humain a permis l’avènement des études d’associations pangénomiques, où l’on compare l’ensemble du génome d’une cohorte de patients souffrant d’une certaine pathologie à celui d’un groupe de contrôle, à la recherche des variations qui pourraient expliquer la maladie. «Avant, on croyait que des mutations rares étaient à l’origine de maladies rares et que des mutations fréquentes étaient à l’origine de maladies fréquentes, explique Alexandre Reymond, du Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne. Maintenant, on se rend compte qu’il y a aussi des variations rares qui sont impliquées dans des maladies communes.» Il cite un cas qui s’est présenté à Lausanne d’un individu porteur d’une mutation qui ne survient que chez une personne sur 2000 mais lui donne à peu près 100% de risques d’être obèse à plus de 16 ans. «Si beaucoup d’éléments très rares, comme celui-ci, peuvent chacun être à l’origine d’une pathologie comme l’obésité, celle-ci devient commune.»

 

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