The newspaper “Le matin dimanche” interviewed C.Fankhauser about the “Nature’s intelligence”, Feb. 7, 2021

“Comment les plantes «écoutent» le vent

Les végétaux perçoivent les vibrations de l’air et des tas d’autres signaux qui leur permettent de s’adapter avec une redoutable efficacité.

Leur lenteur peut donner l’impression qu’elles sont passives, presque inertes. C’est tout le contraire. Les plantes ont une étonnante sensibilité, une capacité à percevoir et à réagir à leur environnement d’une folle ingéniosité. Des chercheurs français du CNRS ont récemment décrit comment elles «écoutent» le vent. Pas avec leurs oreilles, évidemment. N’empêche, les végétaux captent les vibrations induites par les courants d’air et se préparent à la menace que représente la survenue d’éventuelles rafales.

On sait que sous l’effet d’une stimulation mécanique, qui les ferait fléchir, par exemple, les plantes peuvent répondre en réduisant leur croissance vers le haut et en augmentant leur croissance en largeur, donc leur diamètre. C’est une façon de se renforcer qui leur permet, notamment, de mieux résister aux assauts du vent. Les plantes sont ainsi à même de percevoir un signal d’alerte extérieur et de propager cette information dans leur corps. Par quels mécanismes? C’est ce que les scientifiques ont décrypté.

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Ce type de canaux mécano-sensibles, les animaux en possèdent aussi. Nous, êtres humains, percevons des signaux mécaniques (par le toucher, par exemple) qui sont, ensuite, traduits en signaux électriques et véhiculés par l’influx nerveux jusqu’au cerveau. La comparaison est délicate, même si la notion d’«intelligence végétale» a été promue par certains scientifiques ces dernières années. Pour le biologiste florentin Stefano Mancuso, qui a popularisé cette notion, l’intelligence étant la capacité à résoudre des problèmes, les plantes en sont dotées. Elles sont même, selon lui, «extrêmement brillantes». Ne pouvant pas fuir, comme les animaux, elles sont contraintes de résoudre les problèmes qu’elles rencontrent, sous peine de disparaître. Rapprocher les végétaux des animaux a pour objectif de lutter contre les préjugés d’une nature dont l’organisation serait dominée par l’homme et où les plantes ne seraient qu’ornements ou matières premières. Or les plantes, si elles n’ont ni organes ni cerveau, si elles n’ont pas d’yeux, d’oreilles ou de nez, possèdent de nombreux capteurs qui leur permettent de percevoir des modifications physiques, chimiques de leur environnement et de mettre en œuvre toutes sortes de stratégies d’adaptation (lire les encadrés) à des changements de température, d’humidité ou en réponse à des menaces.L’«intelligence» des plantes fait débat

Pour autant, le terme «intelligence» fait débat. «Le monde végétal est un monde particulier, capable de réaliser des choses dont nous ne sommes pas capables, mais ce mot-là se réfère trop au cerveau et à son fonctionnement, estime Jean-Marie Frachisse. Il a sans doute été choisi parce qu’on ne possède tout simplement pas les bons mots pour évoquer le monde végétal. Parler d’intelligence, c’est accrocheur, mais ça introduit tout de même une confusion, car les plantes ont, en réalité, une stratégie de vie totalement différente, totalement originale.» On retrouve la même prudence dans les propos du Pr

Christian Fankhauser, du Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne. «Leur lenteur et le fait qu’elles soient ancrées au sol font que les plantes ont développé des stratégies de défense très différentes de celles des animaux, relève-t-il. Mais comparer cela à des comportements risque d’amener à se faire des idées qui ne sont pas scientifiques. Certains vont jusqu’à parler de neurobiologie végétale, ce qui, à mon avis, est un nonsens. Cela supposerait qu’elles aient des neurones. Or, s’il y a bien des signaux électriques à l’intérieur des plantes, ce ne sont pas pour autant des neurones qui les transmettent. De manière générale, les signaux d’alerte induisent des comportements – de fuite si nécessaire – chez les animaux, alors qu’ils provoquent, chez les plantes, des réponses d’adaptation, concernant surtout la croissance ou le développement.»

Christian Fankhauser a, par exemple, étudié la manière dont les végétaux perçoivent et interprètent la qualité de la lumière. Les plantes sont, en effet, capables de faire la distinction entre différentes longueurs d’onde. Elles savent ainsi quand une autre plante s’apprête à concurrencer leur espace vital en leur faisant de l’ombre, au sens propre. Capter la lumière est essentiel pour les végétaux, car c’est par la photosynthèse qu’ils produisent des sucres. Le passage d’un nuage ne pose pas de problème de survie, mais certaines plantes seront menacées dans le cas où des voisines viendraient leur boucher la lumière. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’une plante ainsi mise en péril anticipe ce qui va se produire, comme l’explique le Pr Fankhauser: «Certaines longueurs d’onde sont absorbées très fortement par les tissus végétaux, c’est le cas du rouge et du bleu. Raison pour laquelle nous voyons les feuilles de couleur verte. Ce que l’on ne voit pas, en revanche, c’est que ces tissus végétaux réfléchissent d’autres longueurs d’onde, comme le rouge lointain, un rouge qui tire un peu vers l’infrarouge. Une plante, elle, peut percevoir le rouge lointain émis par ses nouvelles voisines. Avant même qu’elle se retrouve dans leur ombre, elle est capable, grâce à des photorécepteurs, de capter ce signal et d’adapter sa croissance, en poussant plus vite grâce à une élongation de sa tige ou en s’orientant différemment.»Génome vaste et complexe

Toutes les plantes ne sont pas semblables, certaines évitent l’ombre, comme le maïs, d’autres s’y épanouissent, comme le café. Chacune développe ses stratégies d’adaptation. Dans le cadre de cette expérience, c’est encore l’arabette des dames qui a servi de modèle. Cette plante de la famille des brassicacées, comme le chou, se distingue notamment par un cycle de vie rapide, ce qui s’avère pratique pour des expériences en laboratoire. En réalité, l’arabette des dames, qui sait si bien s’adapter au vent, à la lumière et à bien d’autres choses, ne «paie pas de mine», sourit Jean-Marie Frachisse. «Et pourtant, elle possède plus de 20’000 gènes, soit à peu près autant que l’être humain», souligne-t-il. Il n’est pas rare que des végétaux en comptent bien plus, d’ailleurs. Ce vaste génome reflète une certaine complexité ou plus précisément, comme le note Christian Fankhauser, «un système différent pour gérer la complexité». Et de donner l’exemple de l’immunité, dont il est beaucoup question en ces temps de pandémie. «Nous, êtres humains, possédons, à côté de notre immunité innée, une immunité acquise qui nous permet en permanence de fabriquer de nouveaux anticorps contre des pathogènes, explique le chercheur lausannois. Les plantes n’ont qu’une immunité innée. Elles n’ont pas le luxe, comme nous, de faire du sur-mesure.» Cette «inflation» de leur génome, et donc cette immunité innée particulièrement large, serait, là encore, une stratégie d’adaptation.

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